L’obscurcissement des informations sur l’autonomie spéciale de la Papouasie atteint TikTok

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Illustration TikTok

Jayapura, Jubi – Des recherches menées par quatre organisations de la société civile montrent que des efforts visant à obscurcir les informations sur la Papouasie ont pénétré TikTok. L’obscurcissement de l’information noie l’opinion de certains Papous indigènes (OAP) qui rejettent l’autonomie spéciale de la Papouasie ou l’expansion de la Papouasie. La même étude a révélé que les diffuseurs d’informations papoues sur TikTok utilisent souvent l’hashtag #YouthCreativeHub pour accroître l’interaction de leurs publications.

La recherche a été menée par Internews, Indonesia Corruption Watch, SAFEnet et le Centre for Information Resilience en suivant les messages louant le succès de l’autonomie spéciale de la Papouasie ou de l’expansion de la Papouasie sur TikTok.

La recherche est intéressante parce que TikTok est un réseau social relativement nouveau. TikTok dispose également d’un écosystème plus fermé que les autres réseaux sociaux, ce qui fait qu’il est difficile pour de nombreux chercheurs de disséquer et de tracer les origines des différents sujets tendance sur TikTok. Il est important d’analyser les sujets tendance sur TikTok, étant donné qu’ils ont un grand nombre de jeunes utilisateurs. En Indonésie, TikTok compte plus de 100 millions d’utilisateurs.

L’un des chercheurs de SAFEnet qui a mené cette recherche a expliqué que celle-ci, qui s’est déroulée d’août à octobre 2023, a retracé les origines des hashtags liés à l’autonomie spéciale de la Papouasie et à l’expansion de la province de Papouasie. Au départ, les hashtags recherchés étaient #DOBPapua et #OtsusPapua. Les chercheurs ont ensuite également retracé les origines de hashtags plus généraux, tels que #Papua #PapuaIndonesia et #KKBPapua.

L’étude a conclu que le sentiment positif à l’égard de la mise en œuvre de l’autonomie spéciale de la Papouasie sur TikTok n’était pas naturel car il a été diffusé par un certain nombre de comptes qui ont interagi les uns avec les autres pour manipuler l’algorithme de TikTok. En bref, la publication sur TikTok contenant des sentiments positifs à l’égard de l’autonomie spéciale de la Papouasie ou de l’expansion de la Papouasie est une tentative de manipulation des sentiments négatifs à l’égard de ces deux éléments afin qu’ils n’aient pas la tendance et qu’ils n’exposent pas les utilisateurs de TikTok.

Selon le chercheur de SAFEnet, deux utilisateurs de TikTok ont récemment fait l’objet de recherches, à savoir ariandi6031 et andisa256. Les activités de ces deux comptes sont très similaires et ils se répondent l’un à l’autre.

« Les deux comptes publient souvent du contenu sur l’autonomie spéciale de la Papouasie. Ils ont aussi été les premiers à publier du contenu par rapport à plusieurs publications qui ont été publiées plus tard par d’autres utilisateurs de TikTok. Mais, on ne sait pas qui ils sont », a-t-il dit.

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Cette analyse de réseau montre comment les messages des comptes interagissent les uns avec les autres. Cette visualisation Gephi montre que les grands comptes amplifiés ayant de nombreuses connexions (interactions) sont plus grands dans l’image – Rapport d’enquête sur la désinformation de la réussite de l’autonomie spéciale de la Papouasie occidentale

Faux compte ? Fausses conversations ?

La recherche a également conclu que l’interaction sur divers contenus faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie a été effectuée par des comptes soupçonnés d’être de faux comptes. Le soupçon vient du fait qu’un certain nombre de ces comptes utilisent des noms qui ressemblent au nom du générateur du compte. Au lieu d’utiliser des photos d’eux-mêmes montrant leur identité, les « comptes d’autonomie spéciale » sur TikTok utilisent des images générées par l’intelligence artificielle.

Certains de ces comptes republient aussi fréquemment des contenus faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie entre eux. Les chercheurs des quatre institutions ont conclu que les diffuseurs présumés échangeaient des contenus via WhatsApp et rediffusaient les contenus de leurs amis. Cette conclusion découle de la même heure de publication ou d’une heure de publication proche.

Les contenus TikTok faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie imitent aussi souvent certains titres d’actualité. Les chercheurs ont trouvé plusieurs contenus qui reprennent des titres de plusieurs médias comme légende de leur publication.

Il est intéressant de noter que les différents comptes qui ont publié du contenu faisant l’éloge de l’autonomie spéciale se sont engagés dans des conversations/interactions entre eux. Les comptes andisa256 et ariandi6031, par exemple, interagissent régulièrement entre eux.

Les articles faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie et du développement des infrastructures en Papouasie sont également souvent agrémentés de commentaires soupçonnés d’être de fausses conversations. Ce soupçon est dû au fait que les différents commentaires proviennent de comptes qui présentent les caractéristiques de faux comptes. Les chercheurs ont cité la publication des comptes andisa256 et ariandi6031 avec la description « Video WhatsApp 13-06-2023 at 33.07.46 ». Le contenu a reçu des dizaines voire des centaines de commentaires, mais les commentateurs étaient des comptes similaires.

Les comptes des commentateurs n’ont pas beaucoup de publications, et certains d’entre eux n’ont jamais publié de contenu sur TikTok. Une autre particularité est qu’ils ont commenté en même temps ou à proximité les uns des autres. Cela a conduit à soupçonner que les commentaires avaient été faits par une machine informatique.

Ce qui est encore plus étrange, c’est que les commentaires ou les récits publiés sont souvent les mêmes. En somme, la diffusion n’implique pas seulement des comptes qui s’échangent des contenus, mais aussi des comptes de commentateurs qui s’échangent des commentaires.

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Le compte ariandi6031 a reposté le même contenu en changeant uniquement la description narrative de la précédente « WhatsApp Video 13-06-2023 at 33.07.46 ». Cela montre que la source du contenu provient de WhatsApp.

Utilisation de l’hashtag #YouthCreativeHub

Les recherches menées par les quatre institutions ont également révélé un comportement intéressant de la part de divers comptes faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie et du développement de l’infrastructure dans la terre de Papouasie. Ils utilisent souvent les hashtags #DOBPapua, #OtsusPapua, #Papua, #Papuaindonesia, et simultanément l’hashtag #YouthCreativeHub.

L’utilisation de l’hashtag #YouthCreativeHub dans les légendes des divers comptes défavorables préoccupe les chercheurs car ce hashtag est identique à l’existence du Papua Youth Creative Hub fondé par Billy Mambrasar, le staff spécial du président Joko Widodo (Jokowi). Le Papua Youth Creative Hub (PYCH) a également été inauguré par Jokowi.

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Popularité du hashtag #YouthCreativeHub sur Tiktok au fil du temps

Toutefois, les chercheurs de SAFEnet n’ont trouvé aucune preuve que les opérateurs de ces comptes étaient directement affiliés à PYCH.

« Il est possible que les opérateurs de ces comptes profitent de l’hashtag #YouthCreativeHub. Surfer sur la vague est un moyen d’étendre l’interaction d’un contenu, et la vague peut être n’importe quel hashtag. Il n’existe aucune preuve directe du lien entre les comptes et PYCH. Les comptes andisa256 et ariandi6031, par exemple, n’ont jamais été associés à PYCH », ont indiqué les chercheurs de SAFEnet.

Cependant, il a conclu que les opérateurs de comptes suspicieux utilisent régulièrement PYCH dans leurs efforts pour obscurcir les informations sur la Papouasie. Par exemple, si la situation politique dans la terre de Papouasie s’échauffe à la suite de manifestations, les opérateurs de comptes suspicieux publieront agressivement divers contenus positifs sur l’autonomie spéciale de la Papouasie ou le développement de l’infrastructure de la Papouasie, et insèreront l’hashtag #YouthCreativeHub dans les légendes de leur contenu.

« On peut conclure que l’hashtag #YouthCreativeHub est le moteur de la campagne de réussite du gouvernement en mobilisant les utilisateurs de TikTok en Papouasie et les MPME. S’il y a une manifestation de peuples autochtones, il y aura une mobilisation d’opinions opposées ou de contre-récits aux récits des manifestants utilisant l’hashtag #YouthCreativeHub », a-t-il conclu.

Le chercheur de SAFEnet a expliqué que les opérateurs de comptes suspicieux étaient directement confrontés aux opinions des groupes communautaires qui exerçaient leur droit d’exprimer leurs opinions en public sur l’existence de PYCH, qui propose de nombreux programmes d’autonomisation pour les micros, petites et moyennes entreprises à Jayapura.

« La campagne était simple. “Ne parlez pas d’une Papouasie indépendante, mais voici un nouveau lieu de rencontre en Papouasie”. On peut en conclure que les personnes qui publient souvent des contenus de désinformation sur la nouvelle région autonome et l’autonomie spéciale de la Papouasie utilisent souvent l’hashtag #YouthCreativeHub », a-t-il précisé.

Cette découverte n’est pas la première. L’utilisation de faux comptes et de réseaux infiltrés dans les plateformes de médias sociaux pour diffuser des informations de ce type s’est déjà produite dans le passé. Twitter et Facebook ont précédemment supprimé plus de 80 comptes à la suite d’une enquête de Reuters qui les reliait à un réseau de sites d’information soutenus par l’armée indonésienne et qui publiaient de la propagande pro-indonésienne concernant les régions instables de Papouasie. Les deux plateformes de réseaux sociaux ont supprimé des centaines de comptes, pages et groupes indonésiens de leurs réseaux après avoir découvert qu’ils étaient liés à des groupes en ligne qui diffusaient des discours haineux et des fausses nouvelles. Ces groupes diffusaient « des messages trompeurs à travers un réseau de pages et de comptes cachés afin de promouvoir des récits qui sont souvent source de division sur des questions clés du débat public en Indonésie ». Des problèmes similaires ont également été identifiés dans le cadre de cette recherche.

Billy Mambrasar : PYCH ne s’occupe pas de politique

Le fondateur du PYCH, Billy Mambrasar, a dit qu’il ne savait rien de l’utilisation de l’hashtag #YouthCreativeHub par un certain nombre de comptes suspicieux soupçonnés de masquer des informations sur la Papouasie. Billy Mambrasar a même admis qu’il était déconcerté par les conclusions des chercheurs, car PYCH n’a jamais mené de campagne en ligne et a surtout mené des activités hors ligne qui n’étaient pas liées à la politique.

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Papua Youth Creative Hub à Jayapura, Indonésie – Google Maps

« On n’a pas d’activités en ligne. Nos activités portent sur la formation des MPME, l’agriculture et l’artisanat. Je me concentre seulement sur l’autonomisation. Nos activités sont davantage hors ligne. Je ne suis pas les hashtags liés à PYCH et je ne les surveille pas », a-t-il indiqué.

Il a déclaré que la PYCH ne s’est jamais impliquée dans des questions politiques, y compris l’autonomie spéciale de la Papouasie ou l’expansion de la Papouasie. « On ne s’occupe pas de l’autonomie spéciale et on n’en discute pas. On se concentre sur le développement économique, l’autonomisation et l’agriculture », a-t-il déclaré.

Mambrasar a également rejeté les allégations selon lesquelles les comptes suspects qui publient des contenus faisant l’éloge de l’autonomie spéciale de la Papouasie ou de l’expansion de la Papouasie seraient des “buzzers” embauchés par PYCH : « On n’a pas le budget pour payer des “buzzers” », a-t-il répondu en riant.

« Si on a du budget, on va le donner aux enfants papous qui ont besoin de capital pour vendre des œufs. Le capital est de 500 000 à 1 million de roupies indonésiennes. Parfois, mon salaire est aussi utilisé pour communiquer avec eux. On n’a pas assez de budget pour payer les influenceurs/buzzers », a affirmé Mambrasar.

Lorsqu’on lui a demandé si le gouvernement indonésien avait mis en place une opération visant à obscurcir les informations concernant la Papouasie sur les réseaux sociaux, Mambrasar a admis qu’il n’était pas au courant de cette opération. Il a révélé qu’il avait recueilli les aspirations des étudiants Papous indigènes, mais que cela avait été fait par le biais d’entretiens directs avec environ 500 étudiants.

« J’ai mené des discussions avec 6 600 personnes de la génération Y et de la génération Z. Pendant Covid-19, j’ai interviewé environ 500 étudiants papous dans des dortoirs. À l’époque, ils n’avaient pas de riz ni d’argent pour payer le wifi nécessaire aux cours en ligne. Ils n’avaient pas non plus de crédit téléphonique. On a collecté des dons pour installer le wifi dans les dortoirs papous à Bandung, Jakarta et dans d’autres villes. On est aussi allé sur place avec du riz et de la nourriture. Ces activités n’ont pas utilisé les fonds du gouvernement, mais nos salaires. Ensuite, on a interviewé environ 500 étudiants sur leurs aspirations pour la Papouasie. Ils souhaitaient un budget d’autonomie spéciale plus élevé pour développer les ressources humaines, à la fois dans le domaine de l’éducation, de l’aide au capital des entreprises, ainsi que du recrutement de fonctionnaires d’État et des Forces armées indonésiennes (TNI) / Police nationale (Polri). J’ai recueilli les aspirations hors ligne », a-t-il exprimé.

Selon Mambrasar, les opinions des Papous indigènes sur la question papoue ne peuvent pas être clairement exprimées sur les réseaux sociaux. La raison en est que très peu de Papous indigènes utilisent les réseaux sociaux. Selon lui, capturer les polémiques sur la Papouasie sur les réseaux sociaux ne permettra pas d’avoir une vue d’ensemble des opinions des Papous indigènes.

« La plupart des Papous indigènes n’utilisent pas les réseaux sociaux. On voit des polémiques sur la Papouasie dans les réseaux sociaux. Mais c’est compliqué car la plupart des Papous indigènes n’utilisent pas les réseaux sociaux. Mes publications sur les réseaux sociaux sont aussi aidées par mon équipe car je n’ai pas le temps. Parler de la Papouasie devrait plutôt passer par des discussions hors ligne », a conclu Mambrasar. (*)

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